Celui de la fatigue

Ce soir, l’homme de la fatigue

A regarder s’illimiter la mer,

Sous le règne du vent despote et des éclairs,

Les bras tombants, là-bas, s’est assis sur ma digue.
Le vêtement des plus beaux rêves,

L’orgueil des humaines sciences brèves,

L’ardeur, sans plus aucun sursaut de sève,

Tombaient, en loques, sur son corps :

Cet homme était vêtu de siècles morts.
Il n’était plus la vie,

Il n’était point encor la mort ;

Il était la fatigue inassouvie.
Il avait vu brûler d’étranges pierres,

Jadis, dans les brasiers de la pensée :

Les feux avaient léché les cils de ses paupières

Et son ardeur s’était cassée

Sur l’escalier tournant de l’infini.

Sa tête avait nourri toutes les gloses.

Il traînait après lui une aile grandiose

- Ridicule – dont les pennes tombaient ;

Des nuages vitreux le surplombaient,

Mais néanmoins une chimère dernière

Allumait d’or son casque et sa bannière.
Lassé du bien, lassé du mal, lassé de tout

Il maintenait debout

Encore, un dernier voeu, sous l’assaut des contraires :

Ayant tant vu sombrer de choses nécessaires,

Qui se heurtaient pour leur rapide vérité,

Lui, qui se souvenait d’être et d’avoir été,

Qui ne pouvait mourir et qui ne pouvait vivre,

Osait aimer pourtant sa lassitude à suivre,

Entre les oui battus de non, son chemin, seul.
De tout penseur ardent, il se sentait l’aïeul.

Le sol du monde était pourri de tant d’époques

Et le soleil était si vieux !

Et tant de poings futilement victorieux

N’avaient volé au ciel que des foudres baroques.

Et c’est décidément :  » Misère !  » à toute éternité

Qu’à travers sa planète et vers ses astres

La tête pâle et sanglante de ses désastres,

Pendant mille et mille ans criera l’humanité.
Certes, mais se blottir en la rare sagesse,

D’où rien ne transparaît que le savoir

Et la culture et la discipline de sa faiblesse ;

Entr’accorder la haine et le désir ; vouloir,

A chaque heure, violenter sa maladie ;

L’aimer et la maudire et la sentir
Chaude comme un foyer mal éteint d’incendie,

Se déployer sa peine et s’en vêtir ;

Avoir, de ses malheurs mêmes, l’orgueil ;

Aimer enfin celui qui, dans les villes, passe

Et qui s’assied, en souriant devant le seuil

Du temple, où vont prier les hommes de sa race.
Et puis le proclamer, mais n’ériger l’espoir

Que pour, sournoisement, l’abattre avec sa haine ;

Contrarier l’aurore avec le soir ;

Torturer le présent avec l’heure prochaine ;

Trouver de la douceur en son angoisse, lasse

De n’avoir plus la peur de la menace ;

N’éclairer pas d’un trop grand feu

L’énigme à deviner par delà les nuages,

Qui fit songer les sages

Qu’un Dieu connu n’est plus un Dieu.
Ce soir, l’homme de la fatigue,

Tout lentement, a soulevé,

Comme un trésor désencavé,

Aux bords du fleuve, où mon âme navigue,

La science de la fatigue.

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Celui de la fatigue
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